« Apprenez à gérer les tensions à l'école » (70 sec)

Karin Heremans, directrice de l'Athénée Royal d'Anvers

L'art comme moyen de décompression

« Apprenez à connaître vos élèves »

Dans une vidéo tournée image par image qu'il avait réalisée pour un projet artistique à l'école, Ilias (17) a montré comment il luttait avec son identité. « C'est comme s'ils veulent m'enlever une partie de mon identité », dit-il. « Mais toutes les autres parties se rebellent. » Ses professeurs étaient stupéfaits. Ils se faisaient parfois du souci parce qu'il était très croyant. « Mais il était si fermé, que nous ne savions rien de lui », raconte son professeur de physique. « Jusqu'à ce fameux jour de projet. »

« Pourquoi les gens me jugent-ils sur ma barbe? » (2.28 min)

Ilias (17), élève à l'Athénée Royal d'Anvers, a enfin pu laisser libre cours à ses émotions dans le cadre d'un projet artistique à l'école.

Karin Heremans, directrice de l'Athénée Royal d'Anvers : « Les jours consacrés à un projet ou à l'art, vous en apprenez beaucoup sur les élèves. Ils réagissent différemment qu'en classe. Parfois, ils réagissent fort aux propositions ou aux projets que l'artiste imagine. C'est l'occasion idéale pour nous d'intercepter les signaux et d'apprendre à mieux connaître les élèves.

L'art permet aux élèves de penser d'une manière différente que d'habitude. Ça fonctionne comme un élément déclencheur pour libérer l'esprit et envisager le monde et l'actualité différemment. Dans notre école, soixante nationalités différentes se côtoient, ainsi que diverses convictions religieuses : des musulmans, catholiques, orthodoxes... Beaucoup d'élèves viennent de régions en crise dans le monde. 11/9, Gaza, Syrie, Palestine, Charlie Hebdo : ce sont des incidents qui font soudain des professeurs et des élèves, ou des élèves entre eux, des ennemis politiques. L'école doit pouvoir se situer en dehors de ces conflits, tenir compte des sentiments des élèves sans prendre parti. »


Politique scolaire

Sept conseils pour un climat social préventif

« Après un événement d'actualité, il faut parler avec vos élèves » (33 sec)

Mohammed Filali, professeur de religion islamique à l'Athénée Royal d'Anvers

  1. Stimulez l'esprit critique

    Stimulez constamment les élèves à penser de manière critique et nuancée. Les adolescents ont souvent une image du monde en noir et blanc et des solutions faciles aux problèmes difficiles. Débattez, échangez vos avis, discutez de leurs comportements, de leurs paroles et abordez différentes facettes du même récit. Ça peut se faire en classe, via la réalisation d'un projet, les cours généraux, les projets artistiques... Le conseil des élèves peut aussi jouer un rôle important à ce niveau.
  2. Stimulez le dialogue interculturel à l'école

    Collaborez avec d'autres associations religieuses. Cela requiert des compétences et une bonne formation ou bien des experts externes. Mais cela suscite aussi souvent des conflits de loyauté (‘peux-tu faire preuve de compréhension pour...’). Donnez des informations au sujet de toutes les religions du monde d’un point de vue respectueux en insistant sur les ressemblances plutôt que sur les différences.
  3. Discutez de l'actualité

    Discutez des actualités internationales en classe. Les jeunes sont souvent déçus de l'Occident ou du monde et c'est pour cette raison qu'ils s'y opposent (et se mettent à croire en un Califat, au bien-être des animaux de façon radicale, à l'extrême droite). Faites place à leurs émotions. Certains élèves ont aussi eux-mêmes expérimenté la violence. Faites preuve de compréhension pour l'injustice qu'ils ressentent. Vous pouvez ainsi nouer contact, parler et faire des suggestions. Si nous voulons éviter que les jeunes se mettent à croire en la violence, nous devons alors leur donner des pistes pour comprendre le monde. Vous devez alors vous-mêmes savoir comment naissent la polarisation et la radicalisation et quels en sont les signaux.
  4. « Tous les musulmans sont des terroristes »

    Onze conseils pour donner cours sur un sujet controversé

    Les professeurs évitent souvent les sujets ‘sensibles’ s'ils les trouvent trop complexes, ou s'ils craignent les émotions souvent vives et les opinions de leurs élèves. Comment vous y prendre ?

    1. Créez un climat sécurisant et respectueux en classe de sorte que personne n'ait à avoir peur de participer à la conversation. Établissez des conventions comme ‘ne pas jurer’, ‘laisser parler les autres’, ‘écouter sans juger’, ‘tu peux passer ton tour’, ‘raconte uniquement ce que tu veux, pas plus’. Demandez aux élèves de parler consciencieusement : parlez de ‘certains’ au lieu de ‘tous’. Soyez vous-mêmes un modèle : en étant honnête et en vous montrant sincère, en respectant les autres points de vue et en acceptant les sentiments des autres.
    2. Soyez bien préparé : lisez les informations générales, explorez les différentes perspectives. Déterminez votre propre position. Pensez également à l'avance aux possibles ‘éléments déclencheurs’ pour les jeunes. Précisez que la discussion pourrait être très sensible pour certains élèves. Ou bien prenez-les à part au préalable.
    3. Cherchez à savoir ce que les élèves savent déjà ou ont déjà expérimenté. Laissez-les faire des liens avec le sujet. Si le sujet est vraiment trop sensible, laissez d'abord les élèves s'exprimer (anonymement) par écrit. Demandez-leur aussi d'où vient leur information et leur opinion. Et s'ils savent si leurs sources sont fiables.
    4. Donnez des informations et rassemblez les questions qu'il reste. Cherchez ensemble les réponses à celles-ci. Si les questions se limitent à des choses factuelles (qui, quoi, où, pourquoi, quand), essayez alors d'élargir leur terrain de recherche à des questions plus profondes ou plus essentielles.
    5. Aidez les élèves à faire le lien entre l'événement en question et leur propre vie. De quelle manière est-ce que ça les touche eux personnellement ou bien leur famille, amis et communauté ? Pourquoi ? Demandez par exemple prudemment si quelqu'un a des membres de sa famille qui vivent dans les régions où règne la violence ou la guerre.
    6. Laissez aux élèves l'occasion de faire des recherches, de parler aux gens pour ainsi en savoir plus sur le sujet et lui donner du sens. Veillez d'abord à ce qu'ils comprennent la différence entre une opinion et un fait.
    7. Si les élèves ont fait des recherches approfondies, ils sont prêts à se forger leur propre opinion, à l'exprimer et à en discuter. Préférez le dialogue au débat. Le dialogue exige de la compréhension, pour élargir sa propre vision, pour rendre les choses complexes plutôt que simples. Analysez la manière avec laquelle vous laisser les élèves exprimer leur avis : à deux, autour d'une table, avec un panel d’experts, avec des pistes de discussion...
    8. Surveillez continuellement le ton et l'ambiance de la discussion. Rappelez les règles aux élèves. Imaginez différentes manières de faire participer les élèves, et donnez-leur la possibilité de ‘passer’ si ça devient trop difficile. Donnez-leur aussi la possibilité de s'exprimer (anonymement) sur papier.
    9. Faites le lien avec la maison. Utilisez éventuellement les parents et d'autres membres de la famille comme source primaire que les élèves peuvent interroger. Parlez aux parents de la manière dont l'école traite les sujets controversés.
    10. Les élèves qui sont ‘touchés’ par un sujet, aiment aussi faire quelque chose : plus de recherche, une activité dans la communauté ou dans la région, écrire une lettre, récolter de l'argent, participer à une manifestation, réaliser un journal pour l'école ou des affiches de campagne...
    11. Bien discuter en classe est un exercice que vous pratiquez en fait continuellement, souvent avec des sujets moins lourds. Une culture de dialogue et de débat ouverts à l'école représentent un premier pas.
    (Note de cours www.devreedzameschool.nl ou ‘Brandende kwesties’ de la Fondation Roi Baudoin
  5. Développez une bonne structure d'accompagnement d'élève

    Développez une bonne structure d'accompagnement d'élève : l'accompagnement interne d'élève, le CLB (PMS, Centre d'Accompagnement d'élèves), les autres partenaires externes (ex. fonctionnaire de déradicalisation, point de contact à la police), l’attention pour bon système de suivi de l'élève. Le professeur de religion islamique à l'école n'est qu'une pièce du puzzle contre la radicalisation islamique. C'est pourquoi il est important qu'une équipe centrale soit constituée pour suivre la radicalisation. Impliquez aussi les parents. Dans beaucoup de cas, ils seront content du soutien de l'école. Les jeunes radicalisés sont une responsabilité partagée de tous les adultes.
  6. Donnez le bon exemple

    Quelle est votre position à l'égard des musulmans ? Que dites-vous, quelles blagues racontez-vous, comment réagissez-vous aux déclarations racistes ?
  7. Connaissez vos limites

    Soyez conscient de vos limites et de la responsabilité sociale partagée entre les différents secteurs : bien-être, loisirs, travail.
  8. Adoptez une position vulnérable en tant qu'école

    Soyez une école ouverte sur les problèmes qui s'y passent. Nous pouvons apprendre les uns des autres. Ne pas parler de radicalisation parce que vous ne voulez pas que l'école ou la commune soit associée à des élèves problématiques n'aide pas.

Les élèves prennent des initiatives

Le Coran pour les nuls

Chantal Van Hove: « Un jour ils m'ont apporté un livre. 'Voici madame, pour vous. Nous avons acheté un petit livre : Nous sommes musulmans, pour les non-croyants.’ Ce n'était pas un livre qui essayait de me convaincre, mais plutôt un livret introductif, une sorte de Coran pour les nuls. ‘Nos valeurs et nos normes sont là-dedans’, ont-ils dit. »

« J'ai senti qu'elle me comprenait » (32 sec)

Lamia (17), étudiante au Lycée Public Pierenberg d'Anvers

Chantal Van Hove: « C'était un très beau moment. Le message était : ‘Nous sommes musulmans, apprenez aussi un peu à nous connaître’. De cette manière, ils s'opposent aussi à l'extrémisme qu'ils ne soutiennent pas. Mais ils ont aussi montré par là qu'ils avaient le sentiment de pouvoir s'exprimer à l'école, qu'ils étaient écoutés, que le seuil était bas. Et ça ouvrait la possibilité de débattre. Je pouvais dire tranquillement : ‘Les valeurs et les normes dans ce livre font aussi partie de mon ‘vocabulaire’’. Elles ne diffèrent pas beaucoup des valeurs et des normes de chaque individu. »

« Martin Luther King était aussi radical selon la mentalité des années 60, mais il a défendu ses idées sans violence. »

(Jannie Noppe, criminologue à l'Université de Gand)


Travaillez sur la résistance

Comment rendre les jeunes résistants ?

  1. Apprenez-leur à être critique

    Les jeunes qui se radicalisent sont souvent des jeunes vulnérables. Il est donc utile de renforcer leur résistance à un stade précoce. Apprenez par ex. aux jeunes à traiter l'information et les médias sociaux de manière critique (vérification des sources), ainsi que la pression des pairs et l'agression. Ils peuvent ainsi gérer les messages radicaux qui acceptent la violence, l'autorisent ou l'encouragent. Un jeune résistant apprend aussi à chercher de l'aide et peut faire ses propres choix.
  2. Laissez-les briller

    Les adolescents sont à la recherche d'une image d'eux-mêmes qui les rend fiers. Ils veulent être valorisés et admirés. Les combattants en Syrie mais aussi les activistes extrémistes des droits des animaux par exemple se voient comme des idéalistes, pas comme des terroristes. Cherchez des alternatives pour les jeunes afin qu'ils expriment leur idéalisme, se révoltent contre l'injustice, s'affirment comme courageux, forts et dignes de sacrifice sans porter atteinte à eux-mêmes ou à leur entourage.
  3. Apprenez-leur à défendre leur opinion

    Entraînez les élèves à communiquer de manière pacifique de sorte qu'ils apprennent à défendre leurs droits et leur opinion de manière non-violente.
  4. Dressez une image positive du futur

    Beaucoup d'idées radicales résultent de la frustration : le sentiment de non-appartenance, la discrimination, l'humiliation, l'exclusion sociale... Pour compenser, certains jeunes veulent devenir un héro ou un martyr. Les jeunes musulmans ont besoin d'avoir une vision positive du futur. En adoptant une position ouvertement anti-raciste, en vous opposant à l'islamophobie à l'école, ou en assurant par ex. le contact des élèves diplômés sur le marché du travail (ex. ancien élève qui témoigne, le Forem...) Partagez votre conviction qu'ils trouveront une place dans notre société en qu'ils auront des opportunités.